Le gratuit du mois
 

Électeur cherche candidat

 

 

Août, c'est encore les vacances, c'est le mois des embouteillages, des caravanes en panne sur les autoroutes sous la chaleur âpre des températures toujours plus exceptionnelles, c'est le mois des corps blancs qui se reposent sur les plages à la recherche du cancer de la peau, c'est le mois de l'oubli d'une année difficile. C'est le mois de la détente.


Au siècle dernier, lorsque j'étais enfant, les vacances étaient synonymes de jeux. Et il en est un que j'aimais beaucoup : celui des mots. Je prenais alors une feuille de papier, vous savez un objet fin, blanc, rectangulaire, et un crayon, un « outil scripteur » comme dit l’Éducation nationale. Chaque enfant choisissait alors un mot et à partir des premières lettres, il fallait écrire un petit texte. On usait de l'outil scripteur à cette époque, et la souris n'était là que pour récupérer nos dents de lait. 
 

Comme nous sommes en août, j'ai choisi le mot candidat(e). Même si je ne pars pas en vacances - après tout pourquoi irais je m'entasser sur un mètre carré de plage alors que je pourrais risquer d'y croiser un voisin ? - j'ai le droit de m'amuser aussi.
 

c comme colonne vertébrale. Un(e) candidat(e) possédant une colonne vertébrale, cela changerait des invertébrés que nous connaissons aujourd'hui, vous savez, celles et ceux qui changent d'avis en fonction du vent mais qui, contrairement aux éoliennes, ne produisent rien de plus que du charabia, des effets de langage et de la communication plus ou moins bien préparée. Pour ma part, tout cela devient inaudible à mes oreilles, et cela provoque même par moment des bourdonnements désagréables. J'attends donc un programme clair, cohérent et chiffré, un peu comme un capitaine de bateau qui donne l'itinéraire des vacances à ses passagers et qui tient son cap. Cela changerait du j'avance, je recule, je fais un pas de côté etc.

 

A comme âme. Je ne vois pas ici l'âme au sens spirituel de la chose mais bel bien dans l'expression « se donner corps et âme » pour son peuple, pour une certaine idée de l’État et des responsabilités qui incombent à celle ou celui qui prend dans ses mains, avec émotion, les rênes d'un troupeau de 68 millions d'âmes. Il en faut une sacrée paire pour oser briguer la place la plus élevée qu'offre notre République, mais encore plus pour unifier un pays fracturé, divisé, exsangue. Est-il/elle né(e) ? 

 

N comme nouvelle tête. Je me souviens d'un temps, jadis, au siècle dernier où certaines têtes étaient des « gueules », des vraies. Qu'on les appréciait ou pas, suivant leur tendance politique, ils/elles avaient quelque chose quand même : Georges Marchais, Gaston Defferre, Georges Pompidou, De Gaulle, Charles Pasqua, Arlette Laguiller. Enfin, quand ils parlaient, on écoutait, on pouvait les trouver drôles, pathétiques ou encore intéressants mais ils avaient quelque chose. Aujourd'hui, je dirais qu'il sortent tous de la même matrice, généralement les bancs de l'ENA : même costume, même langage, même coiffure, même port de tête… En un mot : clonage. 

 

D comme droiture. La droiture n'est pas une colonne vertébrale, c'est l'éducation reçue qui vous rend droit et loyal, envers son pays, envers son peuple. C'est refuser la tentation possible des uns, les atermoiements des autres, c'est être au-dessus de la mêlée avec un sens aigu de la loyauté envers la France. Il faut là encore une solide paire de gonades qui n'est vraisemblablement pas donnée à tout le monde, hommes comme femmes. Mais comme je suis d'un naturel optimiste, sait-on jamais...

 

I comme intérêt général. Ah là, il faut penser à réformer de manière drastique pour éviter le pantouflage qui semble devenir un sport depuis 25 ans : vas-y que je sors de l'ENA, que je rentre comme haut-fonctionnaire, que je me mets en indisponibilité puis que je reviens dans la fonction publique puis je repars dans le privé. Rares sont celles et ceux qui ont les gonades pour quitter purement et simplement la fonction d’État pour partir dans le privé et ne jamais revenir aux hautes fonctions. Mais l'argent a vraisemblablement une odeur particulière et l'horreur d'être au chômage est un moteur pour poursuivre le pantouflage. Mais faire la morale aux chômeurs et aux bénéficiaires du RSA, c'est gênant lorsqu'on utilise les privilèges pour ne penser qu'à son nombril en oubliant l'intérêt général. 

 

D comme démocratie. Je dois dire qu'elle a tellement pris de coups dans la tronche qu'elle ne ressemble plus à rien notre démocratie ! Oui, nous possédons le droit de vote, mais parfois le peuple choisit mais n'est pas entendu, le peuple manifeste mais n'est pas entendu. La démocratie serait de pouvoir virer les incompétents, mais cinq, six et sept ans, c'est long, trop long. Et si je regarde un peu l'Assemblée nationale, en quoi elle représente le peuple ? 185 cadres administratifs et techniques de la fonction publique, 115 cadres administratifs et commerciaux d'entreprise, 76 professions libérales entre autres, sur 577 députés. Et je ne parle même pas du rapport hommes/femmes. Il est aisé de dire que tout le monde peut se présenter mais ne faut-il pas un peu d'argent pour louer une salle, se déplacer, et discourir avec le « peuple ». Tout le monde ne peut pas le faire, ce qui exclue les catégories des précaires, des classes moyennes basses, des mères isolées, des ouvriers, des petits employés… Vive la démocratie !

 

A comme anglicisme. J'avoue que je suis parfois obligée de prendre mon traducteur pour comprendre ce que baragouinent certains de nos politiques : start-up, identity card, team-building, impact, déceptif, et j'en passe… Si l’État n'utilise pas la langue française correctement, pourquoi s'étonner de la dégringolade du niveau de français de nos écoliers ? Un(e) candidat(e) qui pourrait s'exprimer dans un langage simple (sans être simpliste), n'utilisant que des mots français, serait un plus et ce serait moins horripilant à mes oreilles.
 

T comme travailleur. C'est une exigence, que dis-je une condition absolue : le/la candidat(e) doit avoir travaillé dans sa vie, avoir connu des horaires à respecter, des transports à prendre, avoir lu sa fiche de salaire pour voir la différence entre le brut et le net ! S'il sort d'une grande école, passe par de multiples cabinets ministériels puis se présente sans n'avoir jamais travaillé, à quelle légitimité peut-il prétendre pour s'adresser au peuple ? A moins que la politique ne soit un métier, si tel était le cas ce serait plus simple : une entreprise vire ses incompétents, alors le peuple pourrait faire la même chose !

 

E comme équité. Changer la devise de la République pour remplacer égalité par équité voilà qui me ravirait. L'égalité n'est qu'une loi, l'équité serait un objectif. J'en ai des frissons ! Mais comme je ne l'entends jamais dans la bouche des politiques, je pense que l'ENA, pardon l'INSP, ne leur permet pas d'accéder à un certain vocabulaire. 

 

Voilà, petit amusement pour les aoûtiens. Un billet un peu pathétique, je le conçois. Croire que je suis utopiste serait une erreur, mon bulletin blanc est déjà prêt pour les trois (quatre?) prochaines élections, à moins qu'un miracle ne se profile…


 


 

Ratèlement vôtre,

 

 

Le gratuit d'août 2025

 

 

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MANGER TUE


Il faut travailler plus, c'est le mot d'ordre de l'été 2025 en France. Du coup, et bien je m'exécute fissa pour vous offrir un second gratuit du mois, après tout on est solidaire ou on ne l'est pas. Et comme le mot d'ordre de ces Français pénibles (qui feraient mieux de profiter de leurs vacances plutôt que de signer une pétition qui commence à irriter en haut lieu), ça semble être la bouffe, j'y vais gaiement.

 

Il fut un temps où les nitrites n'étaient qu'un mot sans sens pour certains (j'avoue qu'ici, depuis dix ans on s'en passe allègrement), aujourd'hui en revanche on voit fleurir les étiquettes « sans nitrite » sur certains jambons dans les rayonnages. On regrette tout de même qu'à la coupe ce soit toujours (extrêmement) difficile d'en trouver sans nitrite. Sachant que le jambon et les lardons, aliments de base pour agrémenter les éternelles pâtes des trois dernières semaines du mois, sont plus achetés par un certain type de consommateur, force est de constater que la grande distribution a fait du progrés dans le bon sens sur ce point.


Quid des pesticides ? Pendant un moment de ma vie, j'ai vécu dans le vert bocage normand, dans la Manche, au milieu des champs cultivés. La première année fut assez surprenante car le paysan du coin est venu me voir, en combinaison blanche, m'invitant à rester chez moi, à ne pas étendre mon linge et à ne promener ni les enfants ni le chien sur le petit chemin viscinal emprunté quotidiennement. La raison de cette invitation à éviter de sortir : il « traitait » ses champs. Je l'ai remercié et je n'ai pas posé de question. J'ai supposé que le traitement ne consistait pas à déposer des produits naturels pour fertiliser ses sols. Et pendant dix années, ce fut ainsi.


Bien qu'étant parfois stupide, j'ai compris que ces « traitements » étaient liés à des rendements à tenir pour survivre. Heureusement, son épouse travaillait à côté et assurait une partie des factures à régler. Mais l'observer travailler du matin jusqu'au soir, entre ces champs et ses bêtes, pour un salaire de misère, me laissait déjà perplexe à l'époque. Je n'aime pas du tout le terme agriculteurs, cela ne s'attache à rien de concret pour moi si ce n'est un rapport avec l'agro-industrie. Paysan, j'aime, c'est un terme qui sent le terroir, la terre, la sueur et souvent les larmes. 


Sauf que voilà, quelques années plus tard, dans mon H.L.M., je dois faire des courses dans mon supermarché. Entre l'étal de volailles où une vingtaine de poulets morts, bien alignés, me regardent par leur croupion, et l'étal de pâtes aux bonnes céréales, je ne trouve aucune information m'indiquant si c'est un poulet avec ou sans hormones, ou des céréales avec ou sans pesticides. J'achète à l'aveugle et ça m'irrite. Je pense à mon voisin paysan et je me dis que si l'étiquette précisait l'usage d'hormones ou de pesticides, je pourrais faire un effort et acheter sans crainte. Mes achats de « sans hormone » et de « sans pesticide » aideraient peut-être mon ex voisin paysan à produire différemment, sans le diktat des « agriculteurs ». Et puis comme il paraît que les autres pays du monde produisent avec des hormones et des pesticides, cela m'éviterait d'acheter « étranger ». Mais je ne vois rien.


Au motif que les autre pays européens utilisent des pesticides, il faudrait que mon paysan français le fasse aussi ? Outre le fait que chacun connaît l'histoire des moutons de Panurge, je considère que MON paysan n'a pas à trembler pour sa santé en allant travailler chaque matin à l'aube. Manger (sans savoir l'usage des produits usités) tue. Manger tue mon paysan, et me tue moi aussi. Faudra t'il attendre dix ans pour que les étiquettes « sans hormone » et « sans pesticide » soitent apposés sur les aliments ? 


Manquer de nourriture tue, cela s'appelle la famine. Manger des hormones et des pesticides tue, ça s'appelle le trou de la Sécu1. Je n'ai absolument pas besoin d'une étude scientifique déjà faite, ou à faire ou en projet, pour savoir que les pesticides sont dangereux. S'ils réussissent à exterminer les mauvaises herbes et les petits animaux, j'ai bien conscience que c'est la même chose pour un être humain même si cela prend plus de temps (tout dépend si c'est un enfant, un adolescent, un jeune adulte, ou une personne âgée). 


Que nos agriculteurs souhaitent le retour des pesticides, pourquoi pas ! Mais qu'ils aient la décence de le préciser sur leurs produits. Que nos paysans souhaitent un revenu correct pour produire sans pesticides, qu'ils puissent s'exprimer ! Mais moi en tant que consommateur, je VEUX manger un poulet sans hormone accompagné de pommes de terre et de vin2 sans pesticide! Et le tout estampillé "Français"!

 


Ratèlement vôtre,

L.R.

 

1Cf La Sécu, disponible sur le site.

2L'abus d'alcool est dangereux pour la santé… Mais l'étiquette « Boire tue » n'est pas prête de sortir non plus !

 

 

Le gratuit de Juillet 2025 (2)

 

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Non-essentielle


 

C'était il y a cinq ans, vous vous souvenez ? Personne n'a oublié je suppose tous les commerces non essentiels qui ont dû fermer, et pour certains définitivement. Ainsi, le petit salon de coiffure près de chez moi, ouvert quelques mois auparavant par une jeune femme qui en voulait, a clos ses portes définitivement. Ainsi mon bar préféré a fermé ses portes, pas tout à fait puisqu'il a fait l'objet d'une délation de la part du boucher en face qui lui, essentiel, a engraissé au cours de cette période bénie du face à face essentiels/non essentiels. Ouais, c'est vrai, mon petit bar ouvrait trente minutes le matin, en douce, pour permettre à un groupe de six petits vieux de boire leur café, ensemble, pour conserver un semblant de lien social. 


 

Moi, j'ai découvert que j'étais non essentielle. Je n'avais pas de commerce à l'époque, j'écrivais juste des livres, pas suffisant pour en vivre mais je pouvais m'offrir des extras comme les douceurs délicieuses du petit glacier qui livrait à domicile pendant le confinement. C'était une sorte de bouffée de plaisir dans un monde clos. Mon marché en plein air, ouvert à tous vents car non couvert, a été fermé aussi. Curieux quand l'hypermarché du coin se remplissait de clients, entre autres, chassant le papier toilettes (une curiosité que je n'ai toujours pas compris d'ailleurs) : vas-y que je tâte les fruits, que je frotte le client d'à côté, que je fasse la queue devant les caisses dans de longues files. Et ça reniflait, ça toussait, ça se raclait la gorge. Mais le commerce, c'est le commerce. 


 

Et puis signer sa propre autorisation de sortie, je crois que c'était le pompon ! Avec le recul, c'était drôle. Mais le nombre de décès journaliers annoncés méthodiquement par les journalistes, ça, c'était moins drôle. Comme ça l'était moins lorsque nos soignants, vêtus de leurs superbes combinaisons en sacs poubelles, versaient sueur et larmes sous les concerts d'applaudissements. Des épisodes lunaires que nous avons tous conservés en mémoire. C'était la fin du monde. Mais aussi l'espoir d'un monde nouveau, le fameux « jour d'après ». 


 

Cinq ans après, le « jour d'après », je le cherche. La Russie et l'Ukraine, Israël et la Palestine, Les États-Uniens et l'Iran, demain la Chine et Taïwan, l'Inde et le Pakistan...etc, les pluies diluviennes en Espagne, en Andorre pour les pays les plus proches de nous, les chaleurs chaque année « exceptionnelles » alors qu'elles deviennent la norme, la biodiversité en berne, etc. Et l'Europe qui se découvre non essentielle. Car osons le dire :: que pèse l'Europe dans les conflits qui l'entourent ? Cacahuètes ! 
 

Ah je crois que c'est vraiment dur pour les chefs d'état européens de se découvrir non essentiels. A part des petites phrases par ci, par là, ils n'ont aucun moyen d'agir et parlent dans le vide. Ça doit irriter je pense. Je peux comprendre, j'y suis toujours, irritée, après le non-essentiel non digéré. Il parait que la mémoire collective tient environ six mois, la mienne ça fait cinq longues années qu'elle fonctionne toujours. 
 

Le fait d'être non essentielle a des avantages : la décroissance totale et l'acquisition difficile de la liberté. Décroissance et déconsommation forcées : impossible d'acheter autre chose que des produits alimentaires ou de première nécessité. J'ai conservé ce modèle : après tout, ne rien posséder c'est être libre. On me dit écolo, je me fiche de l'écologie aujourd'hui, c'est non essentiel. Choqué ? Vous ne devriez pas. Il n'est plus l'heure de pleurer sur l'écologie, il fallait s'en préoccuper quarante ans plus tôt. Là c'est le temps de l'éco-adaptabilité qu'il faut mettre en place fissa. Mais elle est sacrifiée sur l'autel des profits, ça rapporte peu, vous comprenez ? 
 

Le confinement m'a fait comprendre également que les réseaux sociaux étaient devenus eux aussi non essentiels. J'ai fait partie de groupes avec tellement d'experts que j'en étais éblouie de découvrir autant de Français intelligents et capables de fulgurances sagaces. C'est parce que de plus en plus d'experts en tout se multipliaient, que j'ai cessé de m'y rendre. En cela, je n'échangerais pas avec vous sur ces mêmes réseaux sociaux pour la simple raison que je n'en ai ni l'envie, ni le temps. 
 

Enfin, et parce qu'il s'agit du premier édito de laratelle, derrière le « JE » utilisé, se trouve des auteur(e)s, des jeunes, des vieux, des géographes, des hommes et des femmes. Le JE est plus commode d’utilisation que nos prénoms respectifs. 
 

La culture est non essentielle, mais les tarifs des ouvrages sont exprès très bas, on ne peut pas faire plus bas chez nous. Si je prends l'exemple de La Sécu, il aura fallu trois ans pour qu'il puisse voir le jour. Il ne s'agit pas de trois années d'écriture mais trois années de recherches, de vérifications et de lectures. Plus vous en commanderez, plus j'aurais des chances de sortir un prochain ouvrage. 
 

Bienvenue sur la ratelle.fr


 

Ratèlement vôtre,

L.R.

 

Le gratuit de Juillet 2025 (1)

 

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